Roman-Oliver Foy : Une entrée pour 20 000 ha, le contrôle de l’eau au service du pouvoir en Syrie

Roman-Oliver Foy : Une entrée pour 20 000 ha, le contrôle de l’eau au service du pouvoir en Syrie

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canal eau Syrie
Établissement Al-Assad, Projet de l’Euphrate (Syrie)
Octobre 2009

L’eau qui passe par ce canal principal est destinée à irriguer environ 20 000 ha dans un grand périmètre au nord de la Syrie. Ce canal symbolise un pouvoir fort. Cette seule entrée alimente tout le réseau, qu’elle soit coupée et c’est l’ensemble des parcelles, des paysans, qui manquent d’eau. L’organisation par hiérarchie de canaux reflète une conception des aménagements essentiellement sous le prisme d’une chaîne de fonctions : un grand canal concentre l’eau distribuée ensuite par des canaux de plus en plus petits jusqu’à ceux qui alimentent les parcelles.

Le pouvoir n’est pas uniquement technique mais également politique. Ce grand périmètre irrigué porte le nom d’Établissement Al-Assad, celui du président de la République de l’époque. L’eau provient du lac du grand barrage de Tabqa, sur l’Euphrate, bâti dans les années 1960-70 par des agences d’ingénieurs financées par un État moderne en cours de consolidation. L’Établissement Al-Assad fait partie du Projet de l’Euphrate, gigantesque projet hydraulique qui a mobilisé environ 20 % des investissements publics il y a une quarantaine d’années et était présenté dans la propagande comme un des principaux instruments d’émancipation du peuple syrien. La prise de contrôle de la nature était censée impulser une spirale positive de développement.

Quarante ans après, l’Établissement Al-Assad n’a rempli qu’une partie de ses objectifs. De nombreux canaux sont défectueux et les ingénieurs chargés de l’exploitation du réseau et de la planification agricole sont souvent vertement critiqués par les agriculteurs, notamment parce qu’ils seraient corrompus et peu compétents, traduisant ainsi une défaillance de la maîtrise technique. Néanmoins, politiquement, cet aménagement semble avoir partiellement justifié les dépenses qu’il a occasionnées. Beaucoup d’habitants reconnaissent que l’irrigation, dans cette région au climat semi-aride, a permis une hausse de la production agricole et un enrichissement général de la population et que comparées aux années 1960, les services publics ont été développés. Dans les témoignages de la population recueillis lors d’enquêtes de terrain réalisées entre 2008 et 2010, plusieurs individus associaient explicitement l’État à ces changements.

Aujourd’hui, alors que la Syrie connaît une violence quotidienne, l’avenir semble brouillé. Quelque soit le régime qui sera au pouvoir dans la région si la situation se stabilise dans le futur, il est probable que la maintenance et l’exploitation des aménagements hydro-agricoles ne fassent pas partie de ses priorités. Pourtant, il faudra s’interroger sur le sort de ces milliers de personnes qui vivaient jusqu’à récemment de l’activité agricole et n’auront alors sans doute plus les moyens de rester sur place s’ils doivent se charger seuls du fonctionnement d’un si grand périmètre.

Par Roman-Oliver Foy
Doctorant en géographie – Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ; UMR 8185 Espaces Nature et Culture

Pour citer cet article : Roman-Oliver Foy, « Une entrée pour 20 000 ha, le contrôle de l’eau au service du pouvoir en Syrie », cartes postales, Rés-EAU P10/ Water Network P10, Publié le 1er mars 2014, [En ligne] http://reseaux.parisnanterre.fr/une-entree-pour-20-000-ha-le-controle-de-leau-au-service-du-pouvoir/

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