Mathilde Fautras : Les puits, éléments structurants de l’espace à Regueb (Tunisie)

Mathilde Fautras : Les puits, éléments structurants de l’espace à Regueb (Tunisie)

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Puits asséché Tunisie
Bir Ghzayel, Regueb (gouvernorat de Sidi Bouzid, Tunisie) – juin 2013

À Regueb, les puits constituent l’un des éléments structurant du paysage depuis plusieurs décennies, bien que leur fonction ait évolué au cours du temps.
Le puits de cette carte postale, appelé Bir Ghzayel, a été creusé à l’époque romaine. Comme d’autres dans la région, il a été réapproprié à l’époque contemporaine par différents arouch (fractions tribales) qui l’utilisaient pour l’usage domestique et l’activité pastorale. Le puits, tel qu’il est aménagé, permet de lire l’organisation du paysage qui prévalait jusqu’aux années 1980. Les trois bassins en béton et les abreuvoirs associés, construits au milieu du XXe siècle, servaient de réservoirs respectifs aux fractions qui l’utilisaient : Ouled Abdallah, Ouled Bouzaïene et Ouled El Fellah. Le puits est situé au carrefour des territoires des différents arouch – des territoires dont les limites étaient mouvantes et évoluaient selon les rapports de force entre les groupes tribaux, et dont la direction est indiquée par l’emplacement des bassins. Cet espace du puits, partagé tout en tenant lieu de frontière immatérielle, était fréquemment l’objet de conflits. La khaloua, construction en pierres plus ancienne située à quelques mètres du point d’eau, avait une dimension sacrée de réconfort et de confiance face aux tensions qui pouvaient survenir à propos de l’utilisation de l’eau.

Puits asséché Tunisie

Aujourd’hui, le puits est asséché. Le niveau piézométrique a diminué et les trente mètres de profondeur de la structure ne permettent plus d’atteindre la nappe hydrogéologique. Ce micro-espace a perdu sa valeur de point d’eau, et de point de rencontre des groupes tribaux : les terres de tribus ont été divisées à l’échelle des familles restreintes au cours du siècle passé. Les activités ont changé, les cultures saisonnières (piments, tomates, oignons, carottes, fèves, pastèques, melons…) ont peu à peu remplacé les anciens parcours pastoraux. L’élevage ovin est moins important qu’auparavant, les troupeaux sont plus réduits. La valeur de la terre a changé : ce qui fait la richesse et le prestige des familles est moins la taille de la propriété que la qualité du sol des terres cultivées et celle de l’eau souterraine. Les puits de surface familiaux, qui se sont multipliés depuis le milieu des années 1980 à Regueb, sont aujourd’hui les nouveaux structurants de l’espace.

Cependant, le lieu qui fait l’objet de cette carte postale demeure un pôle, et reste fortement lié à l’eau – d’irrigation cette fois-ci : il a été reconverti en batha, marché local de vente de produits agricoles non contrôlé par l’Etat. C’est vers ce lieu que convergent les produits maraîchers, irrigués le plus souvent au goutte-à-goutte et récoltés sur les terres agricoles voisines. Le puits utilisé collectivement n’est plus qu’un vestige de l’organisation passée de l’espace ; mais le batha montre combien l’eau reste un élément clef de l’organisation de l’espace dans cette région.

Mathilde Fautras

Pour citer cet article : Mathilde Fautras, Les puits, éléments structurants de l’espace à Regueb (Tunisie), Cartes postales, Rés-EAU P10 / Water Network P10, Publié le 20 août 2013, http://reseaux.parisnanterre.fr/les-puits-elements-structurants-de-lespace-a-regueb-tunisie/

2 Responses

  1. Kevin de la Croix
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    Bravo Mathilde pour cette belle carte postale! L’ancienne fonction « d’indicateur » des territoires des arouch est assurée uniquement par l’emplacement de ces puits ou également par une forme, une orientation particulière des margelles ou des bassins par exemple?

  2. Mathilde
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    Ce sont les ensembles bassin-abreuvoir qui indiquent la direction des différents territoires des arouch : chaque arch construisait un bassin et un abreuvoir du côté où s’étendait son territoire. La direction de celui-ci n’est qu’une indication, car l’étendue du territoire variait selon les rapports de force entre les groupes.
    Je n’ai pas remarqué de forme différente des bassins ou abreuvoirs sur les puits que j’ai vus, cela aurait pu être un élément supplémentaire, je demanderai pour vérifier !

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