La problématique de l’accès à l’eau potable reste de nos jours l’une des situations les plus préoccupantes des villes du monde en général et de celles des pays sous-développés en particulier. C’est dans cette logique que la ville de Ngaoundéré au Cameroun constitue un cas d’école. En effet, la population de cet espace urbain est estimée à presque 435000 habitants[1], dont certains subissent encore au quotidien les difficultés d’approvisionnement en eau. Pourtant, cette ville château d’eau du Cameroun est aussi dotée au même titre que celles de son même gabarit, d’une structure publique de distribution d’eau potable (CDE[2]), d’un service régional de l’eau et de trois communes urbaines d’arrondissement qui ont toujours fourni des efforts dans la résolution de cet épineux problème. Cependant, des manquements sont toujours constatés dans la satisfaction de l’approvisionnement en eau des populations. C’est pourquoi certaines communes se sont démarquées des autres en créant des puits qu’elles qualifient généralement d’améliorés ou de « modernes » au même titre que certains ménages, leur permettant ainsi de pallier les difficultés de ravitaillement. A cet effet, plusieurs questions méritent d’être posées : Quels sont véritablement ces puits dits améliorés ou « modernes » crées par la Commune de Ngaoundéré 1er ? Comment se présente les puits dotés d’un nouvel équipement de pompage d’eau instaurés par une frange de la population des quartiers de la ville de Ngaoundéré ?
Ces types de point d’eau permettent-ils d’avoir une eau de bonne qualité ? Les trois photographies ci-dessous nous amènent donc à faire connaissance avec les origines de ces différentes techniques d’obtention d’eau qui varient d’un acteur à un autre. La première photographie est l’œuvre d’un puits équipé d’une pompe manuelle en 2014 par la commune de Ngaoundéré 1er à destination des populations du quartier Socaret, la deuxième photographie illustre un puits privatif au même titre que la troisième qui sont créés respectivement en 2003 et 2005.
Photo 1 : Puits équipé d’une pompe manuelle par la commune de Ngaoundéré 1er, mais entretenu partiellement par ses utilisateurs (Ngaoundéré – Quartier Socaret- 9 novembre 2016)
La photo ci-dessus, présente un puits, protégé par une dalle que soutient une margelle au-dessus de laquelle se trouve l’équipement d’une pompe de marque « India ». Ce point d’eau de motricité humaine est doté d’un dispositif interne qui permet la remontée à la surface de l’eau. La dalle posée et la margelle construite ont pour but principal d’empêcher la pollution de l’eau destinée à la consommation. Ce puits amélioré est une donation d’œuvres sociales de la commune de Ngaoundéré 1er aux populations du quartier Socaret, suite à des promesses faites lors de sa dernière campagne municipale (2013) allant dans le cadre de la lutte contre les problèmes d’approvisionnement en eau en milieu urbain. Cependant, le niveau d’eau de ce puits dit « moderne » baisse régulièrement en raison de plusieurs facteurs : la faible infiltration des eaux pendant la saison des pluies ; l’absence d’une opération régulière de nettoyage et d’extraction des dépôts accumulés au fond du puits – les puisatiers assumant cette tâche se sont désistés à cause du non-paiement de leurs dus par le comité de gestion du point d’eau et la suspension de la subvention financière de la collectivité locale destinée à son entretien -. En outre, la forte affluence des ménages peut expliquer également le faible niveau d’eau souvent enregistré ; cet ouvrage alimentant presque 97,42% d’habitants[3] privés d’adduction d’eau courante contre seulement 02,57%[4] qui en bénéficient. La qualité de l’eau boueuse que consomment régulièrement ces ménages, est due à un manque de curage permanent qui expose ces consommateurs à des risques de contracter des maladies hydriques, dans la mesure où les désinfectants habituellement octroyés par la collectivité pour sa purification ne sont pas destinés à cet effet. Au total 9 puits de ce type ont été installés sur l’ensemble de la Commune, mais seulement 4 sont encore en usage. Ce problème découle des pannes enregistrées sur les pompes et l’absence d’un assainissement interne qui a entrainé l’effondrement des parois de certains puits. Face à cette situation, on peut constater que les difficultés de ravitaillement en eau de ces populations ne peuvent que perdurer en dépit de tous les efforts déjà consentis par la commune.
Photo 2 : Corvée d’eau sur un puits rudimentaire à ciel ouvert (Ngaoundéré – Quartier Bamyanga Hamadjangui – 23 Juin 2016)
Au milieu de cette photo, il y a lieu de voir un puits non couvert entouré par deux pneus qui font office de margelle pour limiter la contamination de l’eau. En effet, il s’agit ici d’un point d’eau creusé dans un bas-fond ayant une profondeur d’environ 4 mètres et qui constitue la principale source d’alimentation des habitants de cette partie du quartier Bamyanga Hamadjangui. Son propriétaire l’a créé dans l’optique de résoudre la difficulté d’approvisionnement en eau, à l’absence totale du réseau d’eau public dans cette portion de ce quartier, dont le taux de population utilisant ce puits est estimée à 84,51%[5]. Ainsi, sur cette photographie, on peut voir des enfants venus accomplir leur tâche quotidienne – la corvée d’eau – autour de ce principal puits traditionnel. Ils se servent d’un bidon de 5 litres déposé à même le sol, relié à une corde insalubre, l’ensemble formant un puisoir qui facilite la remontée de l’eau à partir du puits et qui permet de remplir le seau de dix litres que l’on peut observer à l’arrière-plan de cette image. Pour se ravitailler en eau, chaque ménage est tenu d’apporter son propre puisoir pour se conformer aux exigences du propriétaire. Cependant, la propreté autour voire au fond de ce point d’eau laisse encore à désirer au regard de la flaque d’eau caillouteuse et boueuse qui s’infiltrent dans le puits par percolation, polluant l’eau et remettant ainsi en cause sa qualité pour la consommation. Le calendrier de nettoyage est peu respecté par les utilisateurs nonobstant l’absence d’une rubrique de sanction en cas de la non observation de cette règle d’hygiène et aussi du versement d’une modeste somme destinée pour s’alimenter et pour l’entretien du puits. De surcroît, l’insalubrité de ce moyen d’approvisionnement en eau peut encore se lire par la présence d’herbes tout aux alentours constituant un véritable nid de reptiles, danger permanent pour les ménages et les enfants venant se ravitailler en eau. Par ailleurs, l’utilisation des matériels rudimentaires pour la protection des puits à ciel ouvert tel qu’on le voit ne constitue pas un véritable moyen pour limiter la pollution de l’eau, la collectivité locale au même titre que les autres structures publiques intervenant sur les questions liées à l’eau tardent encore à créer des puits améliorés ou communautaires comme dans le quartier Socaret ci-haut, éventuellement à l’attente de l’insertion de cette rubrique dans le prochain vote du budget communal. Et l’absence d’un couvercle de sauvegarde sur le puits peut favoriser la présence permanente de germes pathogènes responsables de maladies hydriques, du moment où peu sont les ménages qui procèdent de nouveau à la potabilisation de cette eau, rarement désinfectée par son propriétaire . Les techniques modernes (filtre à eau) de filtration étant même encore moins connues et enseignées dans ce quartier où les populations évoluent toujours dans l’ignorance des notions élémentaires d’hygiène et d’assainissement.
Photo 3 : Puits à usage privatif équipé d’hydropompe (Ngaoundéré – Quartier Dang – 17 février 2016)
Cette photo 3 montre un équipement installé sur un puits privé. En effet, il s’agit d’un dispositif composé d’une corde munie de godets qui, actionnée en surface par une manivelle, permet de remonter l’eau du puits. Du fait même de la fixité du dispositif mécanique mis en œuvre, il est possible de fermer le puits, d’empêcher qu’il soit souillé et qu’il constitue un danger pour les hommes et les animaux domestiques. Mais ce point d’eau d’une profondeur de dix mètres n’a aucune buse de protection interne, excepter la margelle construite pour soutenir la dalle d’équipement. Pendant les périodes de baisse de niveau d’eau, le propriétaire de ce point d’alimentation peut ouvrir la dalle pour procéder à un curage. De même, il y verse deux fois par mois le chlore granulé reçu gratuitement du service régional d’eau afin de limiter la forte proportion des germes pathogènes. Ainsi, 94,87%[6] des ménages riverains sont autorisés à s’y alimenter moyennant la modeste somme de 100 FCFA par mois pour son entretien, tel que le nettoyage interne, et même l’achat des outils de l’équipement en cas de panne. Les risques liés à l’usage de cet équipement peuvent être observés au niveau de la coupure de la corde que l’on peut voir, destinée à faciliter la remontée de l’eau. Qui plus est, il arrive souvent que l’on enregistre des cas de rupture de la manivelle lorsque celle-ci est actionnée avec peu de soin ou avec grande célérité. Il s’agit donc d’un ouvrage d’approvisionnement en eau fragile qui nécessite automatiquement une utilisation prudente. Mais c’est un modèle qui présente des avantages du fait de sa facilité à remonter l’eau en surface, et de la protection du puits par une dalle contre les pollutions. Toutefois, son coût de fabrication est encore élevé entre 50000 FCFA et 60000 FCFA[7], ce qui n’est pas à la portée de tous les ménages. Sur l’ensemble de la ville de Ngaoundéré, il n’en existe que 35[8], et dans la zone de Dang, 6 ont été dénombrés et 2 seulement sont encore véritablement en usage.
Au vu des photographies ci-dessus, il y a lieu de conclure que le puits quel qu’en soit le modèle adapté par les ménages de Ngaoundéré, occupe effectivement une place de choix dans la résolution des difficultés d’approvisionnement en eau en l’absence du réseau d’adduction d’eau potable dans certains quartiers. Il peut être façonné selon l’équipement de pompage d’eau sollicité. Mais, d’après les analyses abordées, les collectivités territoriales décentralisées doivent impérativement se pencher sur l’accompagnement des populations en matière d’assainissement de leur eau de consommation. Ceci, en organisant habituellement des causeries éducatives et des séances de démonstrations sur l’obtention d’une eau de consommation saine, en utilisant par exemple l’hypochlorite de sodium, l’hypochlorite de calcium et le filtre à eau en bougie céramique. Ces voies et moyens appropriés permettront d’améliorer la qualité de l’eau sortie de certains puits qui le plus souvent sont insalubres. De surcroît, les pouvoirs publics peuvent subventionner la construction des puits améliorés tel que l’hydropompe, les forages, voire les margelles efficaces autour des puits rudimentaires qui d’ailleurs sont les plus utilisés par les ménages pauvres, incapables de souscrire par exemple à un abonnement du réseau d’eau formel.
[1] Nombre habitants estimés et projetés par INS et CAMGIS, 2008.
[2] Camerounaise Des Eaux, qui remplace la Société Nationale des Eaux du Cameroun (SNEC) en 2008 UI a été privatisée.
[3] Nombre d’habitants de l’îlot enquêté estimé à 350 (Commune de Ngaoundéré, 2013).
[4] Proportion extraite des abonnés au réseau d’eau formel de la zone 09(2014).
[5] La population de l’îlot étudié est estimée à 523 habitants (Commune de Ngaoundéré 1er ,2013).
[6] Sur un total de 195 habitants d’une partie du quartier de Dang (Commune de Ngaoundéré 3éme ,2013).
[7] Le Propriétaire étant un fonctionnaire de la place et ayant déclaré avoir un salaire mensuel moyen qui se situe dans la classe de 200.000 à 300.000 FCFA (Entretien du 11/03/2016.
[8] D’après les résultats des enquêtes menées le 03/07/2014.
Par Jules Gabin Kouiye
Doctorant en Géographie – Université de Ngaoundéré(Cameroun)
Pour citer cet article : Jules Gabin Kouiye, « Puits public, puits privé : Des moyens d’appoint d’approvisionnement en eau des ménages de Ngaoundéré », carnet de terrain, Rés-EAUx, Publié le 6 novembre 2017, [En ligne] http://reseaux.parisnanterre.fr/carnet-de-terrai…es-de-ngaoundere/
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