Cette carte postale nous parvient d’un espace proche de Nanterre, mais donne à voire une réalité aussi banale que peu connue de la région parisienne : celle de ses plans d’eau urbains et périurbains. La région d’Ile-de-France abrite près de 1000 plans d’eau, dont environ 250 de plus de 5 ha.
Plans d’eau dans le bassin versant de la Seine au 18ème siècle, d’après la carte de Cassini.
Aménagés sur d’anciennes zones humides, gravières abandonnées, ou dans des endroits à hydrographie favorable le long des principaux bassins versants de la région, ces plans d’eau ont été construits et intégrés dans le tissu urbain selon différentes logiques d’aménagement et de gestion des eaux de surface en ville. Au cours de l’urbanisation parisienne, l’eau de surface, à part la Seine, a été surtout « cachée » pour des raisons hygiénistes dès les années haussmanniennes. De même, une partie des rivières urbaines considérées comme insalubres, comme la Bièvre et de nombreux rus de la région ont été couvertes et transformées en canalisations. Le peu d’eau encore visible dans la ville au 19ème siècle est exclusivement dédié à des fins esthétiques et de loisir : fontaines, bassins et plans d’eau prévus dans l’aménagement des parcs et grandes forêts parisiennes (par exemple le Lac Inférieur de Boulogne, construit en 1850 sous Napoléon III).
Bassins artificiels construits pour alimenter les fontaines du Château de Versailles (Sources, Archives Services d’administration des fontaines du Château de Versailles).
Etangs et rivières sont conservés principalement en dehors de la ville, pour des raisons essentiellement agricoles et piscicoles. Ce n’est que dans les années 70 avec l’expansion des villes nouvelles que nombreux lacs sont également aménagés dans la ville pour accomplir des fonctions bien établies : stockage des eaux pluviales, diminution des risques d’inondation ou encore services récréatifs au sein des nouvelles bases de loisirs, etc. Pratiquement chaque nouvelle ville dispose de sa base de loisirs construite autour d’un lac (Voir les Bases de Loisirs de Créteil, Saint-Quentin-en-Yvelines, Cergy-Pontoise, etc.).
Base de Loisirs de Saint-Quentin-en-Yvelinnes. © Veronica Mitroi
Ces masses d’eau très diverses sont relativement peu connues au niveau régional, étant administrées par les Services eaux et assainissement surtout sous l’angle de la préservation de la ressource en eau et de la gestion des risques d’inondation. Pourtant, avec l’intérêt croissant de la « nature en ville », nous assistons depuis une vingtaine d’années à un (ré)investissement de leur valeur écologique en tant que « réservoirs de biodiversité » procurant une multitude de services éco-systémiques. Lacs et plans d’eau sont ainsi de plus en plus visibles dans les projets d’aménagement durable de la ville : Natura 2000, Trame Verte Bleue, Schéma d’aménagement et de gestion de l’eau, Schéma directeur de la région Île-de-France, etc. De plus, l’importance sociale de ces structures, notamment en tant qu’espaces de loisir et de détente est fortement appréciée par les collectivités et les usagers.
Nous assistons donc actuellement à la superposition d’intérêts et de plans d’action très divers, portés par les nombreux acteurs concernés par les plans d’eau : collectivité, services d’assainissement, associations d’usagers, structures de protection de l’environnement, etc. Cette exigence de multifonctionnalité de ces plans d’eau est accompagnée par de nombreuses pressions anthropiques (pollution urbaine, industrielle, ruissellement urbain, modification des bassins versants, etc.) qui impactent fortement sur l’état sanitaire et écologique de ces systèmes. C’est la question posée par le projet recherche multidisciplinaire ANR PULSE – Periruban Lakes Environment et Society −, qui interroge justement les possibilités d’évaluation du fonctionnement et de la qualité de ces plans d’eau, dans le contexte de pressions et d’exigences de qualité diverses et croissantes.
Le Lac de Créteil – dans un milieu très urbanisé, une qualité écologique exceptionnelle. © Veronica Mitroi
Il apparaît aujourd’hui de plus en plus nécessaire de conserver leur fonctionnement hydrologique, tout en explorant les multiples fonctions dans des domaines écologique et social qu’ils peuvent accomplir. Pourtant, le projet de recherche PULSE attire l’attention sur le fait que la multifonctionnalité de ces milieux est conditionnée par des contraintes hydro-morphologiques ou des incompatibilités dans les exigences de qualité associées aux différents usages. Par exemple, la qualité bactériologique nécessaire pour la baignade peut être incompatible avec une qualité écologique dans le sens de richesse du phytoplancton ; ou encore les conditions favorables pour la pêche et les sports nautiques (qui nécessitent une quantité d’eau importante) peuvent être incompatibles avec celles nécessaires pour les zones de nidification de certains oiseaux (terre ferme et un niveau d’eau plus bas).
La question sous-jacente est celle d’une meilleure valorisation au sein des politiques d’aménagement. Ces véritables « infrastructures urbaines » sont-elles susceptible d’être reconnues comme « infrastructures naturelles », selon le modèle des zones humides, avec des services éco-systémiques associés et une qualité d’eau permettant à la fois un meilleur état écologique et le fonctionnement combiné de activités humaines diverses ? La difficulté dans la gestion de ces milieux n’est pas tant la possibilité d’obtenir une amélioration de leur qualité, mais le consensus des acteurs concernés autour des « qualités » souhaitables et la possibilité de négociation des uns ou des autres pour permettre la coexistence des divers usages et fonctions recherchés ou voulus.
Veronica Mitroi et José-Frédéric Deroubaix (LEESU)
Pour citer cet article : Veronica Mitroi , José-Frédéric Deroubaix, « Les lacs (péri)urbains franciliens – entre « infrastructures urbaines » et « infrastructures naturelles » », cartes postales, Rés-EAU P10/ Water Network P10, Publié le 27 janvier 2015, [En ligne] http://reseaux.parisnanterre.fr/?p=6785
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