Marie-Anne Germaine, Laurent Lespez et Ludovic Drapier, tous trois membres du Rés-EAUx, ont organisé une session lors de l’Annual Meeting de l’AAG qui s’est tenu du 10 au 14 avril à la Nouvelle-Orléans (Etats-Unis). La session, intitulée « Restoring rivers: an opportunity to (re)connect residents and their daily environments? », visait à discuter des opportunités créées par les projets de restauration écologique des rivières pour reconnecter les résidents et les rivières. Elle a rassemblé 8 chercheurs américains et français.
En guise d’introduction, Marie-Anne Germaine[1], Maitre de Conférences à l’Université Paris Nanterre, a retracé les origines de cette session. Partant du constat que les aspects sociaux sont très souvent négligés dans les projets de restauration, elle a rappelé que ces opérations proposent de nouveaux paysages aux conséquences spatiales importantes. Elle a également rappelé que les projets de restauration ne sont pas neutres et influencent la représentation des rivières que se font les habitants et usagers. Enfin, elle s’est attachée à examiner la place des différents acteurs dans les projets et la façon dont ils interagissent en présentant deux exemples de projets (l’effacement de deux barrages sur la Musconetcong aux Etats-Unis et l’effacement du seuil du Bateau sur l’Orne dans le Calvados)qui avaient su s’enrichir de l’apport des usagers et habitants.
Silvia Flaminio, doctorante en géographie à l’ENS Lyon, a ensuite présenté ses recherches sur la restauration de l’Yzeron[2], un affluent du Rhône. Canalisée dans les années 1970, l’Yzeron a connu un projet de restauration ambitieux sur un tronçon de 1,5km. Le projet visait à lui donner davantage d’espace, en effaçant des seuils, en construisant des barrages pour prévenir les inondations et en recréant un lit plus large. Silvia Flaminio s’est intéressée à la perception de ce projet par les résidents. Ses résultats montrent que les résidents ont été déçus par le processus de consultation, ce qui contraste avec les résultats officiels annonçant une satisfaction de 95%. Ensuite, les résidents se sont également sentis impliqués trop tard dans le processus. Enfin, les recherches ont mis en évidence un discours peu clair à propos de la restauration de la rivière. Répondant à une question de Laurent Lespez, Silvia Flaminio a précisé la manière dont le projet, à l’origine censé répondre aux problèmes d’inondation, a mué en projet écologique afin de trouver des sources de financement.
La deuxième présentation de Caroline Gottschalk-Druschke[3], Assistant-Professor à l’Université de Wisconsin à Madison, proposait de considérer le démantèlement d’ouvrage comme un processus de « décolonisation ». Dans cette optique, la construction des barrages sur les rivières d’Amérique du Nord est vue comme un « settler colonial process » (processus de colonisation) marquant les paysages de l’empreinte des colons. L’effacement de ces ouvrages relève selon elle de la même logique avec notamment le rôle des experts qui laisse les populations locales de côté. En s’appuyant sur les projets menés par la Woonasquatucket river Waterhsed Council à Providence (Etats-Unis), elle montre comment la restauration d’une rivière peut relever d’une « creative decolonization » (« décolonisatiuon créative ») en reconnectant des communautés défavorisées, en promouvant la rivière comme un atout et en autonomisant les citoyens. Elle a ensuite évoqué un nouveau projet de recherche s’intéressant au projet abandonné de construction du La Farge dam dans le Wisconsin.
C’est ensuite Ludovic Drapier[4], doctorant à l’Université Paris-Est Créteil qui présentait ses travaux. S’appuyant sur une comparaison de projets de démantèlements d’ouvrages non conflictuels en France et aux Etats-Unis, il identifie 3 formes de représentations de l’interaction avec le public dans le discours des gestionnaires. Les questionnaires menés auprès des résidents révèlent que l’indifférence à l’égard de ces projets domine chez les habitants et que la première étape du « concernement » pour reconnecter les habitants avec la rivière ? est très peu souvent franchie. Par ailleurs, il souligne que ces projets ne portent pas l’opportunité évoquée par Marie-Anne Germaine en introduction à son potentiel maximal. En effet, l’absence d’un conflit n’implique pas l’adhésion des habitants, faisant de ces projets des réussites à court terme mais à l’avenir incertain, car non-appropriés par les usagers ?.
Les recherches de Whitney Mauer du Hobart & William Smith Colleges dans l’Etat de New York portent sur la tribu Amérindienne des Lower Elwha Klallam dans l’Etat de Washington et la manière dont ils ont été affectés par le démantèlement de deux grands barrages sur l’Elwha river. Après avoir rencontré des membres de la tribu, Whitney met en avant le sentiment de perte et de deuil chez les membres après les changements importants survenus dans la rivière et l’émergence d’une inquiétude face à cette nouvelle rivière. Elle prend notamment l’exemple des jeunes générations qui ne sont pas habitués à nager dans une rivière avec du courant. Dans le même temps, elle identifie également chez les membres rencontrés un esprit de découverte et d’invention avant de terminer sa présentation sur des « voices of hope » et « vision of the future » entendues après le démantèlement des ouvrages. Répondant à une question de Jamie Linton, Whitney a réaffirmé que la rivière était partie intégrante de la vie spirituelle de la tribu, donnant à la phrase « water is life » énoncée en introduction un sens encore plus grand chez eux.
Après une pause, Jessica Miller de la Montclair State University dans le New Jersey a présenté les travaux qu’elle débute sur la Musconetcong River (NJ). Alors que l’alose savoureuse (American shad) a fait son retour dans le bassin versant à la suite des effacements de plusieurs ouvrages par l’association de bassin versant, Jessica évoque la difficulté de gestion des débits posée par cette espèce. En effet, le débit de la rivière est fortement influencé par le barrage du lac Hopatcong à l’amont. Or, de nombreuses habitations, bases de loisirs et restaurants se trouvent sur les rives de ce lac et les habitants ne souhaitent pas voir le niveau du lac diminuer. En parallèle de cette recherche, Jessica commence un nouveau programme de recherche en collaboration avec la Musconetcong Watershed Association afin de comprendre les changements de qualité d’eau entre 2007 et 2018 avec notamment un intérêt particulier porté aux coliformes fécaux et les liens avec l’agriculture.
Caroline Le Calvez, Docteur de l’Université Rennes 2 a présenté les travaux issus de sa thèse en géographie soutenue en décembre 2017[5]. Ayant travaillé sur deux rivières bretonnes, l’Aulne et la Seiche, Caroline cherche à mieux comprendre les conflits autour des projets de restauration de la continuité écologique et à savoir si ces opérations peuvent constituer des « projets éco-sociaux ». Les résultats présentés montrent que l’opposition aux projets est tout d’abord une façon pour les habitants de montrer leur attachement à la rivière. Caroline insiste également sur le caractère trop technique des discours institutionnels et sur la défiance des usagers qui ont trop souvent le sentiment de ne pas être considérés dans les projets d’aménagement. Les questions du public ont amené Caroline à expliquer qu’elle avait observé un processus d’apprentissage de la part du gestionnaire durant le projet, ainsi que le rôle central que le saumon a pris dans les discussions autour des projets.
Julie Minde proposait une discussion autour du rôle des cartes et de leur perception dans la résolution des conflits. Elle montre que la production de cartes est un argument dans le débat et que celle-ci doit être appréhendée non pas comme le résultat d’un processus objectif mais d’un processus social complexe qui affecte les processus de concertation dans le cadre des projets écologiques. A partir d’exemples tirés de projets autour de la Chesapeake Bay, Julie a montré que les questions sont alors de savoir qui produit les cartes, qui a le droit et le pouvoir de participer à leur production et pour qui et quoi sont-elles faites.
Enfin, Laurent Lespez[6], professeur de géographie à l’Université Paris-Est Créteil proposait une réflexion sur la dimension humaine dans les projets de restauration écologique en s’appuyant sur le cas de petites rivières urbaines franciliennes. Laurent explique que les rivières urbaines considérées présentent très souvent une mosaïque de propriétés, d’accès et de pratiques responsables d’une organisation spatiale complexe, ce qui en fait des rivières difficiles à appréhender. L’analyse montre également une grande diversité de projets de restauration dans leurs dimensions spatiales et écologiques et dans leur lien avec la gestion des inondations. Elle révèle également les limites de la dimension sociale des projets avec notamment un manque d’explication des actions considérées comme allant de soi, une volonté de convaincre les habitants plus que de les faire participer aux projets.
En conclusion, la diversité et la qualité des présentations ont mis en avant la difficulté de considérer pleinement la dimension humaine et sociale dans les projets de restauration écologique, même si des exemples réussis existent (Woonasquatucket river). Les cas français et nord-américains étudiés ne permettent pas de déterminer une seule et unique façon de faire. Au contraire, ils soulignent la diversité des dimensions humaines, sociales et culturelles à considérer pour mener à bien de tels projets alors que de véritables différences semblent émerger entre les rivières urbaines et rurales. Ils appellent plus généralement au développement d’une véritable réflexion territorialisée dans le cadre des projets de restauration écologique des rivières.
[1] Co-auteurs : Laurent Lespez et Ludovic Drapier
[2] Flaminio, S., Cottet, M., Le Lay, Y.F, 2015, A la recherche de l’Yzeron perdu : quelle place pour le paysage dans la restauration des rivières urbaines ?, Norois, 237, p. 65-79
[3] Co-auteurs Emma Lundberg et Lawrence Weinberg
[4] Co-auteurs : Marie-Anne Germaine et Laurent Lespez
[5] Le Calvez, C., 2017, Les usagers confrontés à la restauration de la continuité écologique. Approche en région Bretagne, Thèse de Géographie, Université Rennes 2.
[6] Co-auteurs : Marie-Anne Germaine et Elise Temple-Boyer
Ludovic Drapier
Pour citer ce billet : Ludovic Drapier, « Compte-rendu de la session « Restoring rivers: an opportunity to (re)connect residents and their daily environments? » – AAG », Site Internet du Rés-EAUx, billet publié le 23 avril 2018
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