Pour ce second Apér-EAU de l’Ouest qui s’est tenu au bar le Panama à Rennes, Edwige Motte nous a présenté les travaux qu’elle a réalisés dans le cadre de sa thèse, démarrée en 2013 et soutenue en octobre 2017.
Cette thèse, financée pour moitié par la région Bretagne[1] et pour moitié par la Fondation de France[2] portait sur l’usage de représentations artistiques de rivages pour étudier l’évolution du littoral.
Dans une démarche interdisciplinaire, l’objectif de la thèse était de développer une méthodologie d’exploitation des ressources artistiques pour étudier l’évolution géomorphologique des rivages.
C’est le territoire de la Rance maritime – un territoire soumis à une anthropisation très ancienne et poussée à son paroxysme avec l’implantation de l’usine marémotrice en 1966- qui est pris pour exemple dans la présentation.
L’étude menée par Edwige Motte soulève des enjeux méthodologiques, épistémologiques et d’aménagement qui ont suscité un vif intérêt dans l’audience composée de jeunes chercheurs et chercheuses, riverains et associatifs[3].
Les enjeux méthodologiques de l’étude
La démarche méthodologique fait écho aux travaux menés en Angleterre depuis plusieurs années par Robin McInnes[4] , qui s’appuie sur des représentations artistiques pour étudier l’évolution des rivages – un sujet pictural de prédilection de nombreux artistes professionnels ou amateurs.
Pour permettre une analyse diachronique sur une échelle de temps longue, Edwige Motte a recherché des supports iconographiques représentant les bords de Rance dans la zone estuarienne. Cette démarche s’est heurtée à la difficulté de retrouver des représentations artistiques anciennes de l’estuaire, puisque celui-ci a suscité un attrait plus tardif que d’autres secteurs du littoral.
L’analyse visait à la détermination des principales dynamiques intervenues dans la transformation géomorphologique du littoral (celle-ci incluant aussi bien l’évolution des formes naturelles que celle des formes bâties).
Les observations réalisées sur la base des couples diachroniques d’image ont été validées par des documents d’appuis (cartes et photographie aériennes anciennes contemporaines des œuvres d’art mobilisées), par le recueil des témoignages de personnes âgées (démarche qui implique toutefois de se méfier de la dimension sélective des souvenirs), ou encore par la réalisation de relevés de terrain (notamment d’échantillonnages sédimentaires pour attester et préciser les rythmes de l’envasement sur les sites visiblement concernés).
Enfin, la démarche méthodologique de la recherche revêt une dimension interactive et s’inscrit dans une perspective collaborative avec la mise en place d’un site internet (http://www.geocompart.com/). Ce site vise à présenter les travaux réalisés et à récolter de nouveaux supports iconographiques via un onglet « contribution ». Les visiteurs peuvent ainsi étoffer la base de donnée, soit en fournissant de nouvelles archives iconographiques, soit en participant à la reconduction photographique des images n’ayant pas encore été rephotographiées.
Extraits du site internet « Géocompart » créé par Edwige Motte :
Les enjeux épistémologiques
L’étude menée invite à se questionner sur des enjeux épistémologiques qui traversent actuellement les recherches en géomorphologie. En effet, en nous présentant les résultats des dynamiques relevées, Edwige relève aussi bien des transformations naturelles qu’anthropiques. Elle nous expose alors la façon dont son travail fait écho aux débats actuels à propos de l’Anthropocène. . Dans le cadre de son travail, Edwige Motte a en effet été poussée à se demander si d’un point de vue géomorphologique, les agents naturels de la morphogénèse ne seraient pas devenus, sinon secondaires, du moins relatifs par rapports aux forçages anthropiques. L’impact des sociétés sur le milieu serait dès lors si significatif qu’il appellerait à recourir à une nouvelle approche pour interpréter l’évolution des reliefs. L’étude s’est positionnée en prenant pour parti de prendre en compte et de représenter les formes et les forçages aussi bien naturels qu’anthropiques dans les résultats.
Les enjeux d’aménagement
Le territoire de la Rance, espace de contact entre terre et mer, est anthropisé de longue date (depuis l’époque romaine). Aujourd’hui, l’hypothèse d’une sédimentation accélérée de l’estuaire liée à la présence de l’usine marémotrice fait fortement débat. La recherche menée offre des éléments de réponse à cette question polémique[5]. Toutefois, Edwige Motte se garde d’apporter une réponse trop tranchée. Compte tenu de la difficulté de discriminer processus « naturels » et « anthropiques », la réalisation de prélèvements et d’analyses sédimentaires complémentaires à ceux déjà réalisés est présentée comme souhaitable pour attester d’une accélération concomitante à la mise en fonctionnement de l’usine.
Perspectives pour la suite
Lors des échanges avec le public, il a été évoqué la possibilité de transposer ce type d’approche à d’autres territoires (des villes, des espaces ruraux …) soumis à des dynamiques spécifiques (étalement urbain, paysages agricoles…). Edwige, qui est enthousiaste à l’idée d’élargir les perspectives de sa démarche, entend poursuivre ses travaux en proposant des collaborations avec des musées et centres d’archives disposés à exploiter le potentiel scientifique de leurs collections.
Quelques références :
Motte E., 2014. L’usage de représentations artistiques de rivages comme outils de connaissance de l’évolution du littoral: exemples bretons. Revue d’Histoire maritime 18, 339–358.
Motte E., 2015. The art of reading changes, a new approach to geographical landscape. Reconstruction: studies in contemporary culture, Vol. 15, No. 3 http://reconstruction.eserver.org/test/153/Motte.shtml
Motte E & Corcuff MP., 2016. Regards sur l’énergie marémotrice: de la construction industrielle à la construction paysagère? L’Information géographique 79, 37–51.
Daire, Ma.-Y. et al. 2014. Changements côtiers sur le littoral de la Manche: La côte d’Emeraude, au cœur du projet interdisciplinaire européen « Arch-Manche ». Les Dossiers du Centre Régional d’Archéologie d’Alet 43–71.
Compte-rendu rédigé par Edwige Motte et Gaële Rouillé-Kielo
[1] dans le cadre de la poursuite des pistes explorées par le projet interreg européen ArchManche « Archéologie, art et patrimoine côtier » qui s’est déroulé entre 2007 et 2013
[2] dans le cadre d’un projet portée par l’équipe GRIEF de l’ENSAB entre 2012 et 2015, intitulé « Usage de l’eau en Rance maritime: la fabrication d’un territoire hier, aujourd’hui, demain »
[3] Deux membres du groupe d’intérêt « La Rance » étaient présents (https://www.facebook.com/groups/823590144357261/).
[4] https://www.southampton.ac.uk/geography/about/staff/rgm1n17.page
[5] Valider l’affirmation d’une sédimentation accélérée par le barrage constitue aujourd’hui un enjeu fort puisqu’en découle la participation financière d’EDF à la prise en charge des travaux de piégeage et de traitement des sédiments.
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