Photo 1: Le torrent Tauche et ses multiples usages de l’eau dans le village de Pangboche, avril 2011
Nous sommes au Nord Est du Népal dans la région du Khumbu, zone de piémont du massif de l’Everest, à plus de 4000 m d’altitude, en avril 2011. Cet espace de haute montagne a littéralement changé de visage depuis les trente dernières années: envolée de l’activité touristique (avec plus de 30 000 personnes foulant annuellement les sentiers de la région), construction d’hôtels, de petits commerces, de ponts métalliques, mise sous tutelle du parc national de Sagarmatha, aménagement de sentiers de randonnées, toits des maisons en tôle ondulée, etc. On est loin des images convenues d’une région préservée dans un écrin montagneux où la population du groupe ethnique dominant Sherpa vit à l’heure d’une économie de subsistance basée sur la culture de pomme de terre et l’élevage de yaks. L’isolement n’est plus que relatif dans cette région qui vit désormais à l’heure du tourisme international et des discours alarmistes sur la fonte de ses glaciers emblématiques. Pourtant devant l’effet bulldozer des changements qui impliquent un mode de vie plus moderne, l’usage du moulin à eau traditionnel résiste et persiste.
Examinons d’un peu plus près les éléments emblématiques de la photo 1. Au premier plan on retrouve le lit du torrent de versant Tauche, du nom du glacier sommital qui l’alimente et qui se détache à l’arrière plan. Nous sommes au début du printemps et le niveau de la rivière est bas dans le village de Pangboche situé entre 3940 et 4100m d’altitude. En effet, la saison hivernale est finie depuis un mois à peine et le torrent qui traverse le village constitue l’une des principales ressources en eau accessible pour les 200 habitants. Il est alimenté principalement par l’eau de fonte du glacier Tauche et des zones d’accumulation de la neige situées en amont. Il faut attendre le mois de juin et les premières pluies de mousson pour observer un niveau d’eau torrentiel (comme en témoigne la largeur du lit de la rivière).
Mais au delà des aspects physiques de la photo, on trouve aussi des femmes affairées à laver leur linge, à remplir leur bidon d’eau. Le carré cimenté qui se détache en bas à droite est un lieu de rencontre primordial dans le village car il permet l’accès à de nombreux usages de l’eau domestique que sont l’approvisionnement en eau potable, l’abreuvement des animaux, le lavage du linge, etc. Pourtant si on regarde de plus près, deux maisonnettes de pierre aux toitures de lauze jalonnent le bord du lit du cours d’eau Tauche : ce sont des moulins à prière (mani chhunkor en Sherpa, chhu signifie eau). Dans ce cas la force motrice hydraulique permet de faire tourner un cylindre où sont inscrits des mantras (prières) qui vont pouvoir être diffusés grâce à l’action d’une roue.
Sur la photo 2 qui est prise juste en amont du torrent Tauche, on retrouve un autre type de moulin à eau (chhuta en Sherpa) : le moulin à moudre. Celui-ci fonctionne grâce à un canal de dérivation de l’eau du torrent et une conduite d’amenée en bois situés à l’arrière qui actionnent des pales d’une roue horizontale pour faire tourner une meule afin de broyer les grains à moudre (orge, sarrasin, pomme de terre, riz). On peut s’étonner que cette technique traditionnelle et rudimentaire subsiste encore dans une région aussi riche où l’on pourrait s’attendre à observer l’usage de moulins électriques ou diesel. Plusieurs pistes s’offrent à nous : tout d’abord la majorité des moulins de la région sont privés et les revenus générés par leur fonctionnement pendant les mois de mousson en juillet-août sont non négligeables pour soutenir la famille des propriétaires. Dans ce cas précis, le moulin à eau de Pangboche est entretenu et utilisé par une femme meunier dont le mari est mort, et les habitants du village et de ceux alentours payent ses services en lui laissant un kilo de farine tous les 20 kilos moulus. Ensuite, il semble que la qualité gustative de la farine issue de ces moulins à eau soit très appréciée par les habitants de la région qui y demeurent très attachés. Enfin compte tenu de la faible quantité de grains moulus en définitive, leur maintien s’explique tout à fait.
Il semble que les propriétaires des moulins à eau, chhuta ou mani chhunkor, soient donc des personnes ressources pour comprendre l’évolution de la disponibilité saisonnière en eau et de son évolution au cours des ans dans cette zone de haute montagne fortement impactée par la fonte des glaciers. Cependant on peut s’interroger sur la pérennité de l’usage de ces moulins à eau traditionnels alors que la farine est désormais importée depuis la capitale Kathmandu jusqu’au marché local de Namche Bazar, et que bien souvent les moulins à prières ne sont plus entretenus.
Pour citer cet article: Ornella Puschiasis, « Les moulins à eau font de la résistance face à la modernisation d’un versant himalayen », Cartes postales , Rés-EAU P10 / Water Network P10, Publié le 28 janvier 2013, http://reseaux.parisnanterre.fr/les-moulins-a-eau-font-de-la-resistance-face-a-la-modernisation-dun-versant-himalayen/
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